S'apercevoir en pleine réunion de travail, ou en cours, qu'on était parti dans les nuages depuis un temps indéfini, c'est arrivé à tout le monde. Et de fournir aussitôt des explications : la réunion était sans intérêt, le cours était terriblement ennuyeux (je compatis avec mes étudiants), on aurait dû se coucher plus tôt, etc.
Tout ça, c'est pas faux (à part mes cours qui sont passionnants).
Quand ça arrive à quelqu'un d'autre (de plus jeune), on accuse aussi le déficit d'attention lié à l'abus de distractions, la propension à se mettre au travail avec la télé allumée, de la musique dans le casque et un oeil sur facebook. Et le gâtisme précoce pour les plus vieux.
Il reste une explication : nous sommes tous naturellement enclins à la dispersion de l'attention.
Et en réalité c'est bien pire que ce qu'on peut imaginer, l'attention c'est une vraie savonnette qui n'arrête pas de s'échapper. Dans la vie courante nous croyons être à peu près concentrés, mais nous ne faisons en fait que suivre le fil des sollicitations.
Vous croyez sûrement que j'exagère ? Une petite expérience amusante, juste 5 minutes, vous permettra de constater l'ampleur du phénomène.
5 minutes pour voir
Il vous faut peu de choses, d'abord trouver un endroit à peu près calme, où personne ne viendra vous déranger toutes les 3 minutes. Une chaise chez soi, un banc dans un parc, etc, ça fait l'affaire. Une montre ou un réveil pour voir l'heure. Et surtout la détemination de mener l'expérience coûte que coûte à son terme, 5 minutes, pas moins. Quoi qu'il arrive.
Diable, direz-vous, dans quoi on s'embarque, que fait-on de si difficile qu'il faille prendre une telle résolution ?
Et bien, rien, justement. Nichts, nothing, nada, niente. Y a rien à faire. Et c'est ça qui va causer des réactions que vous allez pouvoir observer : l'attention qui s'en va, qui revient, etc.
Bon, si, en fait, vous allez faire quelque chose. A moins de pratiquer assidument l'apnée, en 5 minutes vous allez forcément respirer à un moment où à un autre. Vous n'êtes pas là pour du sport extrême, donc normalement vous respirez, 5 à 10 fois par minute, sans mes précieuses indications. N'y changez rien. Ce que vous allez faire, c'est juste compter ces cycles respiratoires : 1 la première fois que vous expirez, 2 la seconde etc. C'est quand même pas dur.
Là il va arriver des choses
- vous arrivez à 10. Très bien. Alors reprenez à 1.
- vous vous perdez en route. Vous vous ếtes embrouillé (j'étais à 6 ou à 7 ?), vous avez eu un moment de distraction, vous réalisez que vous êtes arrivé à 14 : très bien aussi. Vous reprenez à 1.
et vous continuez jusqu'à la fin des 5 minutes. C'est tout.
Ce comptage, n'en faites pas un but. Ca n'a pas d'importance d'arriver ou pas à 10. Il n'y a rien à gagner. Le comptage c'est juste un moyen de voir quand on est présent et quand on ne l'est pas. Ou plutôt, quand on revient à la présence après un égarement. Si on voit qu'on était parti, c'est qu'on est revenu.
Ce qui arrive aussi, c'est que vous vous rappelez tout d'un coup que le frigo est vide. Que vous n'êtes pas sûr d'avoir raccroché le téléphone. D'avoir répondu à la carte postale de Noël. Et qu'il faut absolument que vous vous en occupiez tout de suite, maintenant, immédiatement. Et hop, vous êtes peut être même debout avant d'avoir compris ce qui se passait. Rien de grave, rassurez-vous. C'est juste votre esprit, qui, légèrement privé de distractions, est allé piocher un vieux truc dans la mémoire, et lui a donné un habillage dramatique pour pouvoir jouer avec. Revenez à 1.
Bon, bref, vous allez voir que vous vous arrivez rarement à 10. Ce qui représente une malheureuse petite minute ou deux (la respiration ralentit au bout d'un moment). Hé oui, on en est là. Inutile de vous dire que vous n'arrivez pas à suivre les réunions de plus d'une demi-heure : le délai est beaucoup plus court !
Et après ?
En recommençant ,plusieurs fois l'expérience, vous allez remarquer des changements. Typiquement, un jour, ça compte assez bien. Cool. Le lendemain, ça ne marche pas fort. Le jour d'après, vous vous dites qu'en faisant un effort, ça ira mieux : raté, c'est pire. En suite vous recommencez sans trop y croire, et là ça revient.... En fait, c'est de vouloir réussir quelque chose qui vous en empêche, ça vous distrait. Prenez donc garde à ne pas transformer le comptage, qui est un moyen d'observation, en objectif à atteindre.
C'est la même chose pendant les réunions : le temps que vous passez votre temps à vous dire "zut je suis pas concentré, il faudrait que je me concentre, halala j'y arriverai jamais", c'est du temps en moins pour suivre ce qui se dit.
En fait, si on répète (quelques semaines), l'attention reste plus facilement focalisée. Mais ce n'est pas très amusant comme méthode d'entraînement, faites plutôt du yoga. Ou finalement, faites de n'importe quelle activité (la cuisine, passer le balai, se promener...). Marcher 500 m en faisant attention à bien sentir chaque pas, ça aussi ça ne prend que 5 min. Faites ce que vous avez à faire, et chaque fois que vous voyez que vous pensez à quelque chose, revenez à ce que vous faites.